Tendances et avenir de la pharmacie en ligne

Avec un marché très jeune (existe légalement depuis janvier 2013) et limité par la législation française, quelles tendances peut-on dégager aujourd’hui pour la pharmacie en ligne ? Et quel avenir envisager ?


Une position oligopolistique des leaders du marché

Le marché lui-même se développe difficilement (facilité à faire un site, mais difficulté à vendre) et le nombre de pharmacies en ligne reste peu important. On compte ainsi seulement 311 pharmacies disposant d’une autorisation officielle (source : Ordre national des pharmaciens, consultation au 23 décembre 2015).

Actuellement, le marché de la pharmacie en ligne tend vers une position oligopolistique de ses leaders. Comme nous le soulignait l’un d’entre eux :

« De ce que je sais, sur les 305 sites de pharmacies autorisés par l’Ordre, seulement 10 rapportent plus de 50 000 euros. Le marché s’étant développé rapidement, c’est dur d’avoir des données pour l’instant, les études coûtant très cher. »

La pharmacie en ligne doit en effet faire face à la concurrence des sites de pure parapharmacie. De plus, avec l’interdiction du référencement payant, le meilleur moyen d’être repéré par un client reste le référencement naturel sur Google (93 % des requêtes effectuées en 2014 selon Resoneo).

À ce jeu, les deux premiers acteurs historiques du marché, Pharma GDD  et LaSante.net, ont une longueur d’avance et figurent dans le top 5 des sites en termes de visibilité. Or, le premier lien de la première page Google attire 30 % des clics pour ordinateur, et 26 % sur mobile, le deuxième, 16 % et 15 % et le troisième,  10 % et 9 %. L’enjeu de la visibilité est donc crucial.

Taux_de_clic_position_Google

Taux de clic en fonction de la position sur la première page Google

À court et moyen terme, on peut ainsi s’attendre à une professionnalisation croissante des pharmacies en ligne, notamment en termes de SEO (Search Engine Optimization, référencement naturel). D’autant plus que les coûts liés à la vente en ligne – un métier à part entière –, ainsi qu’à la logistique, induisent que seuls des acteurs hautement capitalisés peuvent se mêler à la bataille. Et être rentables.

Comment se différencier dans la jungle de la pharmacie en ligne ?

Parmi les différentes pharmacies en ligne, certaines tentent de se démarquer par leur offre de service. Ainsi, le pharmacien que nous avions interviewé en décembre nous faisait part de ses tentatives de différenciation :

« Depuis le déménagement de cet été, on a lancé un système de click & go, donc on donne quelques flyers pour que les patients sachent que ce système est en place, du coup on communique sur le site auprès d’eux. Le clic & go c’est environ 40 à 60 clients par mois, c’est le début. »

Les regroupements tels que 1001pharmacies proposent quant à eux parfois un système de click and collect (réservation en ligne et retrait en boutique). Toutefois, cette pratique est à rebours de la livraison à domicile que l’on trouve traditionnellement sur Internet. Dans son enquête « L’avenir de la pharmacie en ligne », réalisée en 2013, Mathieu Morio souligne que le click and collect ne représente que « 10 % des ventes pour 1001Pharmacies » et « 1 % pour Pharma GDD et pour LaSante.net ». Le modèle ne semble devoir jouer qu’un rôle périphérique dans la vente en ligne.

On note que de manière générale, toutes les pharmacies en ligne proposent des produits de parapharmacie. Pour la pharmacie physique ceux-ci sont un complément aux ventes traditionnelles de médicaments. Les produits de parapharmacie représentent ainsi 6 % du chiffre d’affaires total des pharmacies en valeur en 2012 (source : Xerfi) ; les médicaments, 90 %. Mais pour la pharmacie en ligne, la proportion est toute autre : 78 % des ventes de NewPharma sont issues de la parapharmacie, 40 % pour Pharma GDD et 45 % pour LaSante.net (cf. enquête de Mathieu Morio). Elle est donc vitale pour la rentabilité des pharmacies en ligne. De plus, ce sont des produits qui peuvent, eux, faire l’objet d’un référencement payant.

Vers une baisse généralisée des prix grâce à la pharmacie en ligne ?

Selon une étude Ifop (« Les Français et le système de santé », octobre 2013), la première raison évoquée pour l’achat en ligne de médicaments, à égalité avec la praticité, est le prix (42 %). Or, pour les médicaments OTC (over the counter, vendus sans ordonnance), les prix sont librement fixés par les pharmaciens. Ce qui mène à une certaine opacité et des prix pouvant varier du simple… au quadruple. Une étude de l’UFC-Que Choisir constate ainsi un écart de 1 à 4 entre les différentes officines pour l’automédication.

Sur Internet, l’achat passe souvent par l’usage de comparateurs. Pour les pharmacies, ils sont encore peu développés, mais joueront un rôle important à l’avenir. Pour le moment, le leader sur ce marché est Unooc, lancé en 2013 dans la foulée de la loi sur l’ouverture à la vente en ligne des médicaments.

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Unooc, le premier comparateur en ligne de médicaments

Mais la question du prix pour les médicaments vendus sans ordonnance va au-delà du débat sur la vente en ligne. Depuis plusieurs années, le monopole des pharmaciens sur ces derniers est remis en cause. On peut ainsi citer le rapport Attali en 2008. Fin juillet 2014, Les Échos (« Les marges des pharmaciens dans le collimateur de Bercy ») dévoilaient également un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) où était dénoncé le fait que « les prix des médicaments non-remboursables ont augmenté deux fois plus vite que le coût de la vie depuis quinze ans ». L’IGF proposait que les médicaments OTC puissent être vendus dans la grande distribution. Une préconisation partagée par l’Autorité de la concurrence et dont nous avons parlé plus en détail dans notre article « Le marché de la pharmacie en ligne ».

Pourquoi une telle résistance ? Selon Mathieu Escot, chargé de mission à l’UFC-Que choisir et cité par Le Monde parce que :

« C’est une activité très lucrative (…). Grosso modo, la marge brute des pharmaciens, sur ces médicaments non remboursés est d’environ 34% alors qu’elle est de 21% sur les médicaments remboursables. »

Cependant, le développement de la vente de médicaments sur Internet « imposent de faire bouger les lignes » (Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, cité par Le Monde). En Italie par exemple, les prix ont baissé de 25 % avec l’ouverture à la grande distribution en 2006.

Pour comprendre les nouvelles tendances de la pharmacie en ligne, il faut donc s’intéresser au marché dans son ensemble. Ici, le débat qui agite l’ouverture aux supermarchés de la vente de médicaments OTC renforce ceux sur l’assouplissement de la loi pour la vente en ligne… et inversement ! De manière générale, si les gros acteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu, le marché tâtonne à la recherche d’un business model. Les ventes des pharmacies en ligne sont aujourd’hui portées par les produits de parapharmacie. S’il est possible de tracer de grandes tendances, on peut, au mieux, spéculer sur les évolutions futures, tant celles-ci sont liées aux changements de la législation.

De quoi sera constitué l’avenir des pharmacies en ligne ?

Certaines personnes, comme le député Richard Ferrand, proposent de favoriser le développement de pure players en ligne. Dans son rapport sur les professions réglementées d’octobre 2014, il suggère ainsi que :

« La compétence exclusive de vente du pharmacien pourrait être remplacée par une compétence exclusive de vente des pharmacies. Ce dernier pourrait également être élargi aux personnes morales autorisés à exploiter des établissements de distribution en gros, notamment les groupements de pharmaciens comprenant une centrale d’achat pharmaceutique ».

Au rang des raisons invoquées : l’existence de tels pure players dans d’autres pays de l’Union européenne, et la concurrence, « notamment dans les zones frontalières », de sites européens.

Pour se rendre compte de ce à quoi pourrait ressembler la pharmacie de demain, mieux vaut donc peut-être se tourner vers d’autres pays où la loi est plus souple. Au Royaume-Uni, par exemple, les pharmacies en ligne sont en affaire avec des cliniques en ligne. Les prescriptions y sont limitées et sur questionnaire ou vidéo-conférence, le patient payant en une fois la consultation et le médicament.

Il est raisonnable de penser que le modèle français tende à terme vers ses voisins européens, plutôt que vers le système américain, où la législation considère le médicament comme un simple produit de consommation. Ce « marché libre » du médicament pose de nombreux problèmes de santé publique aux États-Unis, une voie dans laquelle le France ne semble pas vouloir s’engager.

2 réflexions sur “Tendances et avenir de la pharmacie en ligne

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